29 octobre 1764 : une fille du marquis de Sade meurt à Bry !

Contenu de la page : 29 octobre 1764 : une fille du marquis de Sade meurt à Bry !

Le dépouillement des registres paroissiaux anciens réserve parfois des surprises inattendues !

Rendus obligatoires par plusieurs ordonnances royales au XVIe siècle (Villers-Cotterêts, 1539 ; Blois, 1579), ces registres étaient tenus par les curés, qui devaient y enregistrer tous les baptêmes, les inhumations et les mariages célébrés dans leur paroisse. Ainsi, le 29 octobre 1764, le curé de Bry-sur-Marne Nicolas Nicque prit sa plume pour consigner dans son registre l’inhumation, dans le chœur de l’église, de « Mlle de Sade », âgée de deux mois et treize jours :

Le vingt neuf octobre 1764 a été inhumé dans le chœur de cette paroisse par nous curé soussigné le corps d’une fille décédée d’hier chez Francois Rossignol jardinier de la maison de Mr Gamond, scise dans cette paroisse, âgée de deux mois et treize jours, laquelle a été ondoyée par Mr Levasseur, accoucheur, par permission de l’archeveché le dix sept aoust dernier, étant née le quinze du mesme mois d’aoust, et est fille de messire Louis Donatien Alfonse de Sade, marquis de Sade, lieutenant général de la province de Bresse, et de Pelagie Cordier de Montreuil ses père et mere, de la paroisse de la Madeleine de la Ville l’Evêque, rue neuve du Luxembourg, l’inhumation faite en présence de Joseph Tessier valet de chambre du père de l’enfant et de François Rossignol père nourricier de l’enfant qui ont signé avec nous.
[Signé] Nicque, curé ; Rossignol ; Tessier.

Les parents du nourrisson sont clairement identifiés dans l’acte. Il s’agit du sulfureux Louis Donatien Alphonse marquis de Sade et de son épouse Renée-Pélagie de Montreuil, mariés depuis mai 1763. Pour des raisons inconnues, le père et la mère de la jeune enfant n’ont pas assisté aux funérailles. Ils ont été représentés par Joseph Tessier, le valet de chambre du marquis.

On apprend dans l’acte que la petite Sade n’a pas été baptisée après sa naissance, en août, mais simplement ondoyée par l’accoucheur, par permission de l’archevêque de Paris, peut-être parce que ses parents souhaitaient différer le baptême. N’étant pas baptisée, aucun prénom ne lui a été donné, ce qui explique pourquoi elle n’est pas nommée dans l’acte.

Registre des baptêmes, mariages et sépultures, 1760-1769 (Archives municipales, 1 E 11)
Registre des baptêmes, mariages et sépultures, 1760-1769 (Archives municipales, 1 E 11)
pdf - 301.8 ko

En 1764, le marquis de Sade n’est âgé que de 24 ans mais il a déjà été incarcéré deux mois au château de Vincennes au cours de l’automne 1763 pour « débauche outrée » et « impiété horrible ». Le divin marquis a-t-il sévi à Bry-sur-Marne ? Au risque de décevoir, la réponse est non. Dans quelles circonstances sa fille a donc pu être inhumée à Bry ?

Il est intéressant de constater la présence, à ces funérailles, d’un Bryard, François Rossignol, jardinier de la maison de M. Gamond. Il apparaît dans l’acte en qualité de « père nourricier » de l’enfant. Selon toute vraisemblance, la fille du marquis a donc dû être placée en nourrice auprès de l’épouse de François Rossignol, pour y être allaitée.

La pratique de l’allaitement dit mercenaire constitue un phénomène particulièrement répandu au XVIIIe siècle dans tous les milieux, qu’ils soient aristocratiques, bourgeois et même populaires. D’innombrables familles parisiennes envoyaient leurs nouveau-nés dans les campagnes environnantes où ils étaient pris en charge, contre rémunération, dans des familles nourricières. Cette pratique était particulièrement meurtrière pour les bébés à la fois en raison des conditions de vie des enfants dans ces familles, que des conditions d’allaitement.

Il est impossible de déterminer la cause exacte du décès de la fille du marquis de Sade. Les conditions météorologiques au mois d’octobre 1764, sans doute froid et humide, y ont peut-être joué un rôle. Quoi qu’il en fût, cette fillette oubliée repose probablement toujours aujourd’hui quelque part sous le chœur de l’église de Bry.